PROJET BÉNÉVOLE EN POLOGNE (2018) - JESTEM POLKĄ. Weronika Śmigielska, l'engagée urbaine

PORTRAIT D'UNE FÉMINISTE POLONAISE

À 28 ans, Weronika Śmigielska donne l'impression d'avoir vécu plusieurs vies. De ses études qu'elle commence à Poznań, ville de son enfance, en licence de lettres espagnoles à l'inscription de son nom sur les listes électorales locales et parlementaires, toute une suite d'engagements politiques ont marqué son chemin. À Cracovie, elle partage sa vie d'activiste en tant que femme polonaise. 

Par Pauline Roussel

Weronika. Crédit photo : Tomasz Zawada

18h01 ... 18h07 ... 18h10. Elle arrive, trempée et essoufflée. Elle s'excuse pour son retard et me tourne les talons dans la foulée afin de poser ses affaires. Hyper active ou activiste ? Question que je me pose avec malice. Weronika est co-fondatrice de la coopérative Ogniwo, un café librairie qui est aussi un centre social et culturel où se mêlent les luttes militantes à Cracovie. 

Quelques minutes plus tard, elle revient vers moi.  « Je suis venue à vélo. Oh la la, il pleut des cordes. » Pas de doute, elle parle la langue de Molière comme sa langue maternelle. Accueillante et souriante, il est tout de même possible, en cette fin de journée, de déceler sur le visage de Weronika une envie intempestive de regagner son lit. 

Toujours est-il qu'elle est présente et s'agite avant que notre discussion ne commence. Enfin, tout est prêt. Je me surprends à la tutoyer avec légèreté. En compagnie de Weronika, une atmosphère complice flotte. Comme elle le souligne :  « Je n'ai pas de mal à parler de moi. » Quelques rires, parfois gênés, parsèment notre discussion, mais c'est avec aisance qu'elle se confie sur son engagement et ses idées politiques. 

« À Cracovie, je suis devenue une activiste urbaine »

Weronika vit depuis sept ans à Cracovie. Elle est venue pour suivre un master en culture contemporaine. Un sourire aux coins des lèvres, elle avoue :  « Je suis devenue, ici, une activiste, disons... Urbaine. Enfin, c'est là où mon féminisme s'est renforcé. Pourtant, quand je suis arrivée à Cracovie, j'étais persuadée que je me consacrerais uniquement à ma vie étudiante. »

Elle rit. On décèle une part de nostalgie dans sa voix et ses gestes. Elle ne parle pas de son enfance. Comme si tout avait commencé à Cracovie. Pourtant, elle me confie qu'avant elle a été scoute pendant 10 ans, dans l'organisation la moins  « conservative » des deux existantes en Pologne. Pour elle, c'était aussi une forme d'activisme. Sans le scoutisme, beaucoup de choses dans sa vie seraient différentes aujourd'hui, notamment son engagement féministe. Elle répète souvent que, tout ça, ce sont de « longues histoires », mais elle prend tout de même le temps d'en livrer quelques-unes.

L'effet « boule de neige »

En culture contemporaine, Weronika évolue dans le monde activiste, puisqu'il s'agit d'études  « très politiquement engagées ». Elle y côtoie des personnes souhaitant mobiliser les étudiant·es au-delà des activités liées à l'université.  « C'était un peu un endoctrinement... Enfin, dans le bon sens ! Et puis, c'est parti comme une boule de neige. Aujourd'hui, ce master n'existe plus, va savoir pourquoi. »

En 2012, elle participe à son premier  « camp de protestation », place du vieux marché à Cracovie. Dans cette ambiance militante, Weronika connaît des personnes engagées à Cracovie avec lesquelles elle fonde l'initiative Droit à la ville. Cette initiative n'existe plus à présent, mais elle a donné naissance à un forum des habitant·es de Cracovie. Pour la première fois, de nombreux·ses activistes s'y rencontrent pour parler d'une vision de la ville en commun.  « C'est aussi à cet événement que j'ai rencontré des personnes qui sont à Ogniwo, dont certaines avec qui j'ai participé à sa création. »

Par la suite, elle s'engage dans la critique politique et rejoint un club de discussions pour les  « intellos de gauche », s'amuse-t-elle. À cette même période, elle commence à militer dans l'organisation des manifa de Cracovie. Il s'agit de manifestations organisées pour et par les femmes de Pologne, le 8 mars, dans plusieurs villes.  « C'est l'un de mes plus longs engagements. »

Cet effet  « boule de neige » a eu des répercussions. Les projets qui restent les plus importants pour Weronika sont Ogniwo et son bénévolat dans l'association La ville en commun (miasto wspólne en polonais).

Un regard avisé sur la politique polonaise

Malgré un léger essoufflement dans son engagement, Weronika se sent toujours très attachée aux actions dans sa ville. La politique polonaise reste un domaine où elle cultive une certaine curiosité. 

« De nos jours, beaucoup de mouvements bataillent contre le gouvernement qui met en danger nos libertés. Pourtant, en ces temps-là, appeler notre gouvernement un système totalitaire me paraît toujours une exagération. Avant lui, les attaques basées sur l'homophobie, le sexisme et la xénophobie existaient déjà. Ces agressions et le chauvinisme n'ont pas été inventé en 2015 quand Andrzej Duda est arrivé au pouvoir avec le parti d'extrême droite PiS. » Elle bâille. Je lui demande si parler une autre langue que la sienne ne la fatigue pas trop. Elle me rassure, elle aime parler le français. Ainsi, elle continue sur sa lancée.

Elle explique que ces dernières années, le débat entre féminisme libéral et social s'est ouvert. Les voix des mères du féminisme, plus libérales et toujours en faveur de la Pologne libérée du communisme, restent majoritaires. Cependant, elles font face aux jeunes comme Weronika, issues d'un féminisme plus social. Une nouvelle génération qui essaye de faire entendre à ces fondatrices que leurs problèmes sont nouveaux et qu'ils existent aussi par leur faute. 

 « La gauche, la vraie en Pologne, n'arrive pas à s'organiser. Il en est de même pour certains mouvements féministes. La question étant de savoir, est-ce que les organismes plus radicaux devraient cacher un peu leurs idées et se réunir à une partie de la scène politique plus libérale pour faire face au PiS ? Ou bien, est-ce qu'ils ne feraient pas mieux de présenter leurs propres visions d'une Pologne solidaire sans entrer dans cette vision polarisée de la politique ? »

« Être activiste ne suffit pas, il faut entrer en politique » 

« Aujourd'hui, chaque domaine de notre vie publique subit des changements en Pologne. Des propositions de loi font surface et nous menacent. Encore une fois, c'est le cas de la loi pour l'interdiction totale de l'IVG... »(1) 

Weronika ressent de la colère contre son gouvernement. Pour elle, cela ne suffit pas d'être activiste.  « Il faut s'engager en politique pour faire bouger réellement le court des choses. » Pour sa part, l'engagement politique ne lui fait pas peur, ayant déjà milité pour le parti de gauche Razem (Ensemble, en français) et les Verts. À ce sujet, elle confie que ces derniers temps le changement climatique la préoccupe plus que les attaques sur le corps des femmes en Pologne. 

La jeune femme termine cette échange sur une lueur d'espoir :  « Peut-être qu'un jour la prochaine convergence des luttes se fera entre féministes et écologistes ... qui sait ? Peu importe la lutte, nous cherchons toujours à œuvrer en faveur d'un meilleur vivre ensemble. » Weronika évoque pleinement cette quête.

Contexte

Rencontre réalisée en 2018 dans le cadre d'un projet citoyen et solidaire partant à la rencontre des luttes féministes en Pologne: Sto Lat Gƚosu Kobiet. Ce projet a été mené en tant que bénévole, avant d'intégrer une formation journalistique. Sur ce book, quelques articles rédigés en 2018-2019 ont été repostés.

Description du projet Sto Lat Gƚosu Kobiet :

Pologne, 2018. Année des 100 ans de l'indépendance nationale. Certes. Mais aussi, année des "100 ans de voix des femmes" (sto lat gƚosu kobiet, en polonais). Anniversaire invisibilisé, voire oublié ?  Et pourtant, 100 ans de reconnaissance, de droit de vote. 

Sto Lat Gƚosu Kobiet est un projet citoyen et solidaire, à la rencontre des luttes féministes polonaises d'hier, et surtout d'aujourd'hui, et de leurs protagonistes. Crée en 2018, avec le soutien du Cridev de Rennes, je le réalise (principalement à Cracovie) d'octobre 2018 à avril 2019. Ou plutôt, "nous" le réalisons, avec les féministes : Sto Lat Gƚosu Kobiet se veut être un projet déconstruit, d'apprentissage et de partage. 

Après la création de ce projet, vient la rédaction d'articles et portraits sur les féminismes et féministes en Pologne (en tant que bénévole, pour quatre rédactions francophones : Noctambule, Histoires Ordinaires, Hajde et Le petit journal de Varsovie). 

Autour du projet : 

Élue coup de cœur du 4bis de Rennes, région Bretagne, et boursière du Fonds rennais d'initiatives jeunes (Frij). 

Lauréate de la bourse Jeunes à travers le monde (JTM), du département d'Ille-et-Vilaine. 


(1) Pour aller plus loin : Weronika Śmigielska, activiste à Cracovie, raconte la loi contre l'IVG en Pologne :  « L'année 2016 a marqué un tournant dans les luttes pour les droits des femmes en Pologne. Nous avons eu à travers tout le pays des manifestations massives et notamment ici, à Cracovie. Le gouvernement annonçait vouloir interdire totalement le recours à l'avortement. Actuellement, l'IVG repose sur un compromis, passé en 1993, entre l'Église et l'État. Ainsi, seuls trois cas d'avortement sont autorisés (en cas de viol, de malformation irréversible du fœtus, de risques graves pour la vie ou la santé de la mère). Mais, en 2016, quand il y a eu la menace que l'IVG soit totalement interdite, même les femmes qui acceptaient le compromis auparavant se sont réveillées. Nous nous sommes d'abord occupées de faire en sorte que la loi ne passe pas, c'était la priorité. Mais une autre question a explosé en même temps, et c'était inévitable. Celle d'un accès plus ouvert à l'IVG. Heureusement, il y avait des organisations et des femmes qui étaient là pour nous dire que c'était peut-être le moment de nous questionner sur le compromis de 1993. Un compromis où les femmes sont complétement effacées. Nous nous sommes aussi demandé : pourquoi nos grands-mères ne parlent-elles pas ? Sous le régime communiste, si elles ne voulaient pas avoir d'enfant, elles avaient complètement accès à l'IVG. Ce qui est un paradoxe pour notre époque et notre pays. Puis, il y a aussi eu un recul dans le langage. En polonais, dans les médias et dans les débats publics, certaines personnes ont commencé à dire "commettre l'avortement". Cela revient à dire "commettre un meurtre". En tant que femmes polonaises, qui souhaitent avoir le choix, nous nous investissons dans le mal. Voilà ce qu'ils nous disent aujourd'hui. »

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