PROJET BÉNÉVOLE EN POLOGNE (2018) - 1918-2018 : Les antifascistes face au centenaire de l’Indépendance polonaise

Le 11 novembre dernier, la Pologne fêtait le centenaire de sa libération après 123 ans d'invisibilité. Appelé·es les "pires polonais·es", certaines personnes se désolent de cet anniversaire.

Par Pauline Roussel 

Tous les ans, un torrent médiatique, par-delà les frontières polonaises, couvre la célébration de l'indépendance. Ce dernier donne principalement de la visibilité aux partisan·es d’extrême droite conservateur·ices qui défilent le 11 novembre. Pourtant, les antifascistes et les féministes militent, elles et eux aussi, autour de cette journée pour leurs droits.

"Dieu, honneur et patrie", la Marche de l’Indépendance à Varsovie

Un homme âgé, défenseur de la Pologne catholique, tient fermement son crucifix. Il interpelle l’amie polonaise avec qui je suis venue me confronter à la Marche de l’Indépendance. Nous attirons les regards. Nous ne portons rien qui soit blanc et rouge. En cette journée, même le ciel de Varsovie a revêtu ces couleurs. "Es-tu croyante ? J’espère pour toi. La Pologne est le dernier pays a avoir gardé la foi en Europe. Les autres se sont tous perdus", scande l'homme, son visage collé au mien. Plus loin, un jeune homme fier derrière sa banderole nationaliste ne cesse de répéter à ma camarade : "Es-tu patriote ?!"

"Dieu ! Nation ! Nationalisme !"
Le 11 novembre, la Pologne fête le centenaire de son indépendance retrouvée. Un jour chargé d’histoire. La perte de souveraineté du pays remonte à 1795, année de son démembrement entre les empires Russe, Allemand et Austro-hongrois. Les Polonais·es ne recouvrent leurs privilèges qu’en 1918, au sortir de la Première Guerre mondiale. Avec la Seconde Guerre mondiale et l’ère communiste, ce n’est réellement qu’après 1989 que les Polonais·es célèbrent cette date.

Loin des célébrations françaises de l’Armistice, la Fête Nationale de l'Indépendance en Pologne est devenue le théâtre d’affrontements idéologiques. Quant à l’action, elle se déroule particulièrement dans la capitale avec une Marche de l’Indépendance (Marsz Niepodległości). Chaque année, les nationalistes donnent le ton à cette dernière. Pour le centenaire, le président Duda avait décidé d’unir sa marche officielle à la leur. La majorité politique voulait ainsi éviter les démonstrations extrémistes. Pourtant, la commémoration est restée placée sous le slogan officiel "Dieu ! Honneur ! Patrie !".

Quant aux avis, certain·es polonais·es définissent cette marche comme nationaliste et menaçante puisque accaparée par le groupuscule d'extrême droite ONR (Camp National Radical). Enfin, d’autres assurent qu’elle n’est que co-organisée par les nationalistes, en marge lors de l'événement, et n’est pas le lieu de violences (morales) fascistes.

"Ni arc-en-ciel, ni laïque, seulement la Pologne catholique !" n'en déplaise aux antifascistes et féministes.

Tout d’abord, vous remarquez la fierté dans les yeux des Polonais·es venu·es célébrer leur pays. L’intensité de la violence morale du 11 novembre ne vous saute au visage qu’après. Lorsque vous croisez d’autres regards. Des regards de tristesse. Ceux qui perçoivent au quotidien des discriminations quant à leur sexualité, leur genre, leur religion, leur origine. Et encore plus lors de ce jour.


"Nous sommes ensemble pour dire non à la xénophobie et à la haine. Oui à l'amour Antifa !", slogan de coalition antifasciste

À Varsovie, deux corps antifascistes se sont organisés pour le centenaire. L'une des manifestations s'est placée sur le chemin de la marche officielle et nationaliste afin d’y faire front. Les féministes de Strajk Kobiet (Grève des Femmes) sont de la partie. Néanmoins, pour rejoindre cette manifestation, il faut se livrer à un parcours du combattant contre les barrages policiers.

Le 29 novembre à Wrocław, j’échangeais avec Marta Lempart sur la marche. Féministe de Strajk Kobiet, elle aime à considérer sa lutte comme antifasciste.

"Des fascistes des quatre coins du monde viennent pour la marche. Entre autres, le groupe italien Forza Nuova, présent cette année sur invitation de ONR. Cela transforme la Pologne en un lieu sûr pour les groupes extrémistes." Pour Marta, les démocrates sont en faute en laissant les nationalistes défiler avec leur message conservateur de "White Pride"

"Chaque année c’est la même promesse en vain. Celle que ces groupes seront stoppés. Hypocrisie démocratique !" Loin d’être une opposition politique, leur marche est perçue comme une atteinte à la vie d’autrui. "Chez eux, la violence n'est peut-être pas physique mais elle traverse le langage, les discours, les symboles. Il y a comme une compétition chez les nationalistes : qui sera le plus virulent … ? Il ne faut surtout pas marginaliser ces mouvements, ils sont bel et bien une menace."

Lâchez les drapeaux extrémistes et levez vos parapluies féministes

Dites à des féministes "Marche de l’Indépendance", elles vous répondront "célébration malheureusement funeste".

Elles voient cet événement comme une occasion supplémentaire pour les nationalistes  de lancer des attaques envers "les pires polonais·es" (les personnes de couleur, les femmes militant pour l’avortement, les musulman.e.s, la communauté LGBT …). 

Mais les groupes antifascistes ont su y voir une autre opportunité. Dès lors, le 11 novembre est une date pour mettre l’accent sur l’implication croissante et les attaques de l’extrême droite en Pologne. Une date pour parler des droits des femmes, des droits humains. Donc, un peu partout dans la Pologne, des événements à cet égard se sont tenus (expositions, projections de films, conférences, rassemblements …).

Aussi,  le soir même de la Marche de l’Indépendance a eu lieu un Parlement des Corps. Plusieurs thèmes y ont été évoqués autour de l’antifascisme, de l’anticolonialisme et du transféminisme. Notamment, celui de la "résistance féministe dans le fascisme".

"Le mouvement féministe joue un rôle clé contre le facisme."
Magarita Tsomou, intervenante
De même, Amnesty International Kraków a organisé le 26 novembre la diffusion du film Polyland.

Ce film expose les discriminations que subissent trois femmes vivant à Wrocław, élue capitale de la culture en 2016.
"Polyland [...] explore les nuances de ce que l'on ressent d'être noire, musulmane ou LGBT+."
Polonaises toutes trois, Ania, Miriam et Elmelda aimeraient qu’un jour la société les reconnaissent en tant que telles. Evidemment, ce film ne manque pas de parler de la Marche de l'Indépendance et de son caractère exclusif : "Défilent à la Marche de l’Indépendance des nationalistes, des fascistes, des skinhead… Et moi, je ne peux pas fêter mon pays comme le souhaiterait la Polonaise que je suis." Enfin, un débat a suivi le film s’intitulant "Le centenaire de l’indépendance des femmes".

Pologne, partage avec tes suffragettes les bougies !

Et oui car, le 28 novembre 2018 est également une date chère aux Polonaises. En effet, il y a cent ans des suffragettes se sont rassemblées parapluies déployés devant la villa de Józef Piłsudski, alors chef d’Etat polonais. Patriotes, elles ont lutté pour l’indépendance. Femmes, elles se battaient à présent pour leurs droits. Dès lors, elles firent signer au père de l’indépendance un décret stipulant que, sans différence de sexes, tout·e citoyen·ne peut à la fois voter et être élu·e. À la mémoire des «  féministes » des années 1900, du siècle des droits électoraux et des femmes dans l’indépendance, Marta Dzido a réalisé le magnifique film Siłaczki (Women Power). Ainsi, suivi par de nombreux événements, ce film rappelle que ces femmes ne doivent pas être oubliées de l’histoire polonaise. La flamme qu’elles ont allumé se doit de briller encore.

 Exposition éphémère sur les droits des femmes polonaises de la fin des années 1900 à nos jours par l'association Sto Lat Głosu Kobiet. Les parapluies représentent un des symboles de la lutte féministe polonaise. Encore plus depuis les premières manifestations de Strajk Kobiet contre la loi anti-IVG en 2016 sous la pluie (d'où l'appellation : La Révolution des Parapluies). 

Contexte

Article réalisé en 2018 dans le cadre d'un projet citoyen et solidaire partant à la rencontre des luttes féministes en Pologne: Sto Lat Gƚosu Kobiet. Ce projet a été mené en tant que bénévole, avant d'intégrer une formation journalistique. Sur ce book, quelques articles rédigés en 2018-2019 ont été repostés.

Description du projet Sto Lat Gƚosu Kobiet :

Pologne, 2018. Année des 100 ans de l'indépendance nationale. Certes. Mais aussi, année des "100 ans de voix des femmes" (sto lat gƚosu kobiet, en polonais). Anniversaire invisibilisé, voire oublié ?  Et pourtant, 100 ans de reconnaissance, de droit de vote. 

Sto Lat Gƚosu Kobiet est un projet citoyen et solidaire, à la rencontre des luttes féministes polonaises d'hier, et surtout d'aujourd'hui, et de leurs protagonistes. Crée en 2018, avec le soutien du Cridev de Rennes, je le réalise (principalement à Cracovie) d'octobre 2018 à avril 2019. Ou plutôt, "nous" le réalisons, avec les féministes : Sto Lat Gƚosu Kobiet se veut être un projet déconstruit, d'apprentissage et de partage. 

Après la création de ce projet, vient la rédaction d'articles et portraits sur les féminismes et féministes en Pologne (en tant que bénévole, pour quatre rédactions francophones : NoctambuleHistoires OrdinairesHajde et Le petit journal de Varsovie). 

Autour du projet : 

Élue coup de cœur du 4bis de Rennes, région Bretagne, et boursière du Fonds rennais d'initiatives jeunes (Frij). 

Lauréate de la bourse Jeunes à travers le monde (JTM), du département d'Ille-et-Vilaine. 

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