PROJET BÉNÉVOLE EN POLOGNE (2018) - 1918-2018 : Les antifascistes face au centenaire de l’Indépendance polonaise
Le 11 novembre dernier, la Pologne fêtait le centenaire de sa libération après 123 ans d'invisibilité. Appelé·es les "pires polonais·es", certaines personnes se désolent de cet anniversaire.
Par Pauline Roussel
"Dieu, honneur et patrie", la Marche de l’Indépendance à Varsovie
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| "Dieu ! Nation ! Nationalisme !" |
Loin des célébrations françaises de l’Armistice, la Fête Nationale de l'Indépendance en Pologne est devenue le théâtre d’affrontements idéologiques. Quant à l’action, elle se déroule particulièrement dans la capitale avec une Marche de l’Indépendance (Marsz Niepodległości). Chaque année, les nationalistes donnent le ton à cette dernière. Pour le centenaire, le président Duda avait décidé d’unir sa marche officielle à la leur. La majorité politique voulait ainsi éviter les démonstrations extrémistes. Pourtant, la commémoration est restée placée sous le slogan officiel "Dieu ! Honneur ! Patrie !".
Quant aux avis, certain·es polonais·es définissent cette marche comme nationaliste et menaçante puisque accaparée par le groupuscule d'extrême droite ONR (Camp National Radical). Enfin, d’autres assurent qu’elle n’est que co-organisée par les nationalistes, en marge lors de l'événement, et n’est pas le lieu de violences (morales) fascistes.
"Ni arc-en-ciel, ni laïque, seulement la Pologne catholique !" n'en déplaise aux antifascistes et féministes.
Tout d’abord, vous remarquez la fierté dans les yeux des Polonais·es venu·es célébrer leur pays. L’intensité de la violence morale du 11 novembre ne vous saute au visage qu’après. Lorsque vous croisez d’autres regards. Des regards de tristesse. Ceux qui perçoivent au quotidien des discriminations quant à leur sexualité, leur genre, leur religion, leur origine. Et encore plus lors de ce jour.![]() |
| "Nous sommes ensemble pour dire non à la xénophobie et à la haine. Oui à l'amour Antifa !", slogan de coalition antifasciste. |
À Varsovie, deux corps antifascistes se sont organisés pour le centenaire. L'une des manifestations s'est placée sur le chemin de la marche officielle et nationaliste afin d’y faire front. Les féministes de Strajk Kobiet (Grève des Femmes) sont de la partie. Néanmoins, pour rejoindre cette manifestation, il faut se livrer à un parcours du combattant contre les barrages policiers.
Le 29 novembre à Wrocław, j’échangeais avec Marta Lempart sur la marche. Féministe de Strajk Kobiet, elle aime à considérer sa lutte comme antifasciste.
"Des fascistes des quatre coins du monde viennent pour la marche. Entre autres, le groupe italien Forza Nuova, présent cette année sur invitation de ONR. Cela transforme la Pologne en un lieu sûr pour les groupes extrémistes." Pour Marta, les démocrates sont en faute en laissant les nationalistes défiler avec leur message conservateur de "White Pride".
Lâchez les drapeaux extrémistes et levez vos parapluies féministes
Elles voient cet événement comme une occasion supplémentaire pour les nationalistes de lancer des attaques envers "les pires polonais·es" (les personnes de couleur, les femmes militant pour l’avortement, les musulman.e.s, la communauté LGBT …).
Aussi, le soir même de la Marche de l’Indépendance a eu lieu un Parlement des Corps. Plusieurs thèmes y ont été évoqués autour de l’antifascisme, de l’anticolonialisme et du transféminisme. Notamment, celui de la "résistance féministe dans le fascisme".
"Le mouvement féministe joue un rôle clé contre le facisme."
Magarita Tsomou, intervenante
Ce film expose les discriminations que subissent trois femmes vivant à Wrocław, élue capitale de la culture en 2016.
"Polyland [...] explore les nuances de ce que l'on ressent d'être noire, musulmane ou LGBT+."Polonaises toutes trois, Ania, Miriam et Elmelda aimeraient qu’un jour la société les reconnaissent en tant que telles. Evidemment, ce film ne manque pas de parler de la Marche de l'Indépendance et de son caractère exclusif : "Défilent à la Marche de l’Indépendance des nationalistes, des fascistes, des skinhead… Et moi, je ne peux pas fêter mon pays comme le souhaiterait la Polonaise que je suis." Enfin, un débat a suivi le film s’intitulant "Le centenaire de l’indépendance des femmes".
Pologne, partage avec tes suffragettes les bougies !
Et oui car, le 28 novembre 2018 est également une date chère aux Polonaises. En effet, il y a cent ans des suffragettes se sont rassemblées parapluies déployés devant la villa de Józef Piłsudski, alors chef d’Etat polonais. Patriotes, elles ont lutté pour l’indépendance. Femmes, elles se battaient à présent pour leurs droits. Dès lors, elles firent signer au père de l’indépendance un décret stipulant que, sans différence de sexes, tout·e citoyen·ne peut à la fois voter et être élu·e. À la mémoire des « féministes » des années 1900, du siècle des droits électoraux et des femmes dans l’indépendance, Marta Dzido a réalisé le magnifique film Siłaczki (Women Power). Ainsi, suivi par de nombreux événements, ce film rappelle que ces femmes ne doivent pas être oubliées de l’histoire polonaise. La flamme qu’elles ont allumé se doit de briller encore.Contexte
Article réalisé en 2018 dans le cadre d'un projet citoyen et solidaire partant à la rencontre des luttes féministes en Pologne: Sto Lat Gƚosu Kobiet. Ce projet a été mené en tant que bénévole, avant d'intégrer une formation journalistique. Sur ce book, quelques articles rédigés en 2018-2019 ont été repostés.
Description du projet Sto Lat Gƚosu Kobiet :
Pologne, 2018. Année des 100 ans de l'indépendance nationale. Certes. Mais aussi, année des "100 ans de voix des femmes" (sto lat gƚosu kobiet, en polonais). Anniversaire invisibilisé, voire oublié ? Et pourtant, 100 ans de reconnaissance, de droit de vote.
Sto Lat Gƚosu Kobiet est un projet citoyen et solidaire, à la rencontre des luttes féministes polonaises d'hier, et surtout d'aujourd'hui, et de leurs protagonistes. Crée en 2018, avec le soutien du Cridev de Rennes, je le réalise (principalement à Cracovie) d'octobre 2018 à avril 2019. Ou plutôt, "nous" le réalisons, avec les féministes : Sto Lat Gƚosu Kobiet se veut être un projet déconstruit, d'apprentissage et de partage.
Après la création de ce projet, vient la rédaction d'articles et portraits sur les féminismes et féministes en Pologne (en tant que bénévole, pour quatre rédactions francophones : Noctambule, Histoires Ordinaires, Hajde et Le petit journal de Varsovie).
Autour du projet :
Élue coup de cœur du 4bis de Rennes, région Bretagne, et boursière du Fonds rennais d'initiatives jeunes (Frij).
Lauréate de la bourse Jeunes à travers le monde (JTM), du département d'Ille-et-Vilaine.








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